Regards

Je pense à toi visiteur ! Quel pas t’a donc guidé à ma porte ? Serait-ce le pas tranquille du chineur indulgent ? Viens donc mon frère ! Je te propose mes rêves et mes espoirs. Et si tu veux bien, juste là, mes joies et mes peines. Et encore là, regarde, mes rires et mes pleurs. Et au fond, à l’abri des méchantes gens, mes peurs et mes faiblesses. Juste goûte et apprécie. Et trinquons, frère, là, à l’ombre de la passion.

Nom :
Lieu : Rabat, Morocco

19 novembre 2006

L’allée du Généralissime

Aussi loin que je me souvienne, la terre de mon enfance embaume la fleur d’oranger. Des dizaines, des centaines d’orangers, que mon imagination assoiffée d’aventure, me dessinait comme une armée de milliers de fantassins, alignés, fiers et disciplinés. Au milieu de mon régiment courrait une allée façonnée par des années de vas et viens de véhicules de tous genres. L’allée du généralissime, inspectant à chaque aube ses troupes taillées au plus près, chaussées à perte de vue de chaux blanche, impeccables au garde à vous, accordant à peine au souffle du vent de ma campagne, quelques bruissements de leur dense feuillage.

Baignée du soleil de mon Gharb d’adoption, mon allée déroulait sur trois centaines de mètres ses deux sillons parallèles pour déboucher sur une vaste place encadrée de grenadiers. Tout autour, se dressaient notre maison, une basse bâtisse en pierre, aux chambres non communicantes que coiffait une généreuse vigne, un immense hangar abritant cote à cote la Chrysler de mon père, le vieux tracteur Massey Fergusson, des charrues, des bêcheuses et enfin le plus beau … une gigantesque étable aux magnifiques tuiles rouges, rarissimes sous ces latitudes, qui préservait de mes convoitises, les amours de dizaines de couples de pigeons sauvages.

Quelque peu en retrait, comme pour s’excuser de faire tache dans ce décor de ranch texan, s’encastrait au bout d’un couloir le poulailler où régnait en maître absolu le coq de la ferme, monument de morgue et d’insolence, dont la ruse et les redoutables coups de bec, avaient toujours réduit en échec mes expéditions de justicier.

Au-delà de l’étable, s’étendait, aussi loin que portait le regard de mes sept printemps, un verger où cohabitaient sereins, cognassiers, citronniers, abricotiers. Sur ce front avancé, la discipline se relâchait. L’imposante allée du Généralissime n’était guère plus qu’un sentier offert aux herbes folles. Mes troupes se laissaient aller à une joyeuse cacophonie, martelée à longueur de journées par plus d’oiseaux que ne pouvaient embrasser mes regards émerveillés.

Mes percées en éclaireur, carquois en bandoulière, au-delà de ces remparts, m’amenaient, aux confins de mon domaine, dans une contrée étrange où se dressaient les vestiges d’un bois d’eucalyptus entourant ce qui avait dû être un lac poissonneux. Sur ces terres hostiles, je troquais prudemment ma tunique de Généralissime contre la coiffe du chef Sioux, Hibou rusé. J’avançais à pas de loup vers le lit du lac, scrutait hâtivement les herbes à la recherche de mon trophée. Et, une fois mon coquillage en main, détallait à bout de courage, vers la rassurante cacophonie de mes troupes indisciplinées, en prenant bien soin d’éviter la vieille cabane du gardien que l’on disait hantée par un fantôme au corps de serpent.

Quand, le souffle court je m’arrêtais enfin, je brandissais fièrement mon coquillage centenaire, le portait à mon oreille pour écouter, mille images en tête, la plainte de l’océan chassé de ses terres.

Au loin, à l’autre bout de l’allée, se dressait l’imposant portail en fer forgé au bleu pâli par le soleil et les années. Haut, majestueux, les épais battants ceints d’une lourde chaîne que bouclait un immense cadenas, il protégeait l’entrée de mon coin de paradis. C’est quand il s’ouvrait devant la voiture de mon père en grinçant des gonds, que commençaient véritablement mes vacances d’été.

Trente années après, quand il fait gris sur mon cœur, je ferme les yeux et j’entends au loin cette longue plainte, annonçant le bonheur intact des belles années de mon enfance.

09 novembre 2006

Une histoire de …papillon

Il naquit par une douce aube de printemps

L’oiseau, sur l’arbre perché, d’un long chant, salua sa naissance. La terre humide embauma l’air, frémissant sous les premières lueurs du jour. Le tapis vert, de jeunes pousses tressé, scintilla de mille gouttes de rosée.

Il s’ébroua, tendit ses membres.
Les premiers rayons de soleil le pénétrèrent, le séchèrent, le chauffèrent.
Sous leur souffle, se révéla la splendeur !

Son regard, émergeant de l’océan de torpeur, se porta sur son corps de chenille, et se figea. Majestueuses, se déroulaient deux ailes drapées de mille nuances. Il en bougea une, puis l’autre, et la lumière du jour éclata en infinies gerbes d’arcs-en ciel.

Il en fit battre une, puis l’autre, et, merveille ! La fraîche brise matinale, le berça, le caressa, le souleva ! Il était la fleur, qui, dédaignant le sol, montait là-haut valser aux bras du vent. Il était grand, beau, libre ! Il était Papillon.

Sa joie explosa ! Il vola, dansa, papillonna.
Les fleurs se disputèrent ses faveurs, se parant de leurs meilleures senteurs. Mais, nulle n’était assez belle. Insatiable, volage, il battait vite des ailes, quêtant un nouvel hommage.

Plus le soleil chauffait, plus ses couleurs resplendissaient, plus il sombrait joyeusement dans son tourbillon de passion. De béguin en amourette, de caprice en passade, l’aventure le mena loin de ce cocon qui avait façonné la merveille. Loin de cet arbre qui l’avait accueilli, nourri, protégé…

L’herbe douce fit place à un désert de rocaille. La hargne du soleil, y embrasait un océan de larmes cristallines. Ses forces, d’un coup, le quittèrent. Il se posa, contraint.

Le regard blasé de beauté, distingua à peine la laide créature.
Le nez en l’air, l’allure figée, arrogante, elle faisait bloc avec la roche. Les yeux, au regard d’acier, brillaient de mille feux.


Captivé, fasciné, ébloui, le papillon, hypnotisé, dévora son reflet dans les prunelles de feu. La chose l’ignora avec superbe. Piqué, il s’approcha encore et encore. En vain. Enhardi il battit d’une aile, puis de l'autre, éxhiba ses arcs-en-ciel, et, enfin, la chose daigna le remarquer.

La tête triangulaire tourna lentement, majestueusement ;
Le Papillon frémit d’orgueil et posa, offrant ses charmes au regard conquis ;
La chose ouvrit la bouche, comme émerveillée ;
La langue, longue et gluante, tel l’éclair, se détendit;


Le lézard happa le papillon.

06 novembre 2006

Ce soir … je SUIS

C’est la musique qui m’a réveillé. Si tant est que j’étais réveillé. Si tant est qu’il s’agissait d’une musique. Les vibrations sourdes, puissantes, tenaces s’immisçaient peu à peu dans mon esprit. Leur écho se répandait dans mon corps endolori de fatigue. De l’impact de ses ondes jaillissaient des éclats de conscience. Je prenais lentement pied dans la réalité. Mes yeux écartèrent laborieusement les derniers voiles de Morphée, pendant que me prenait aux viscères la clameur virile, sauvage, primitive.

Le rêve se dissipa. Soulevé par les vibrations, je fis quelques pas incertains vers la révélation. Dans la vaste cour intérieure de la maison de mon grand père, une quinzaine de grands gaillards alignés en jellaba, selham et rezza donnaient la réplique à autant de femmes. Fiers, droits, beaux, les uns et les autres dressaient deux lignes compactes de part et d’autre de deux bnadria, faisant à chaque note vibrer les fondations de la vieille bâtisse. Les deux masses, traversées de la même houle, se cherchaient, se fuyaient, s’intimidaient, s’amadouaient…

A quelques heures de l’aube, dans une propriété perchée sur les hauteurs de l’Atlas, tout près des étoiles, dans une nuit glaciale qu’entamaient à peine de grands feux crépitant de milliers d’étincelles, le mariage de mon cousin battait son plein. Je découvrais mon premier Ahidous.

Ce soir, trente ans après, casque sur la tête, résonne à plein volume dans mes oreilles, la même clameur. Mon sang berbère reconnaît son tempo et s’emballe. Mes doigts, en transe, courent sur le clavier, vous esquissant les contours de ma résurrection.

Je ferme les yeux. S’élèvent devant mon esprit, au loin, les sommets enneigés de l’Atlas de mon enfance. Ils sont là mes guerriers farouches. Elles sont là mes guerrières. Leur unisson résonne encore dans la pierre meurtrie par le souffle du soleil et la poigne du blizzard. Ils sont là les miens. Tous les miens. Au fond de moi.

Demain sera un autre jour. Ce soir je fais quelques pas décidés et me fonds dans la rangée des hommes. De mes entrailles jaillit, intacte, la même clameur. Mon âme bat la mesure.