Un texte qui me tient particulièrement à coeur ....
Le premier coup de hache fuse. Un morceau d’écorce s’envole. Mon sang blanc, dilué de larmes, coule abondamment.
La mort est là. Inéluctable ! Mes souvenirs, plus vivaces que jamais, se répandent à mon chevet pour veiller mon agonie.
Je revois la montagne où je suis né
J’entends les berceuses que le vent me chantait
Je retrouve les histoires extraordinaires que les oiseaux se racontaient
Je sens la douce caresse du vent de ma montagne
Mes racines, croyant renaître, aspirent goulûment la vie
La hache se fait hargneuse
Je la sens à peine
Mes souvenirs me serrent de toute leur force
Me crient : Courage !
Je me tiens droit.
Ce fut par un doux matin de printemps que l’on était venu me chercher. Ma mère s’accrocha à moi si fort, que l’on dut me couper les bras pour m’arracher à elle. Mes frères secouaient convulsivement leurs milliers de feuilles et la forêt, à l’infini, n’était que plainte douloureuse. Les oiseaux s’envolèrent au loin. Jamais je ne les revis.
On me planta au milieu d’un beau jardin. On m’entoura de soins. D’attentions. D’affection. On me gava, me tailla et, petit à petit, je me suis laissé vivre, refoulant au fond de mes entrailles, la nostalgie de ma blanche montagne.
Les coups se succèdent. La vie, par flots, coule de mes veines. Je vacille et m’accroche à mes souvenirs.
Je trônais au milieu du jardin. Par les chaudes journées d’été, quand le soleil pris de frénésie méchante soufflait ses flammes partout, ma nouvelle famille venait se blottir dans mon ombre. Je la serrais tout contre moi, lui faisant rempart de mon feuillage.
La hache entame profondément ma chair. Mes souvenirs peinent à me soutenir, je me penche …
Les années se sont écoulées paisibles. J’ai aimé le petit garçon dont j’étais tout l’univers. J’ai adulé sa sœur, dont le regard azur, réveillait le souvenir de mon ciel d’enfance. Mon ombre fût leur compagnon de jeu. Mes branches leur repaire secret. Mon tronc le témoin de leurs premières amours.
Mon âme s’apprête à s’envoler vers les cieux. Tristement, le vent se lève pour mener la marche funèbre.
Un jour, la richesse est venue et toute la maison s’est transformée. On a démoli, reconstruit, repeint, réaménagé. Ma vieille mansarde est devenue une belle demeure … un palais, auquel il ne manquait qu’une piscine.
Ils sont venus me regarder tomber. Ils sourient, se sentant déjà flotter sur l’eau fraîche.
Je ne me rappelle plus de rien
Je m’abats.
Adieu !
Au moment d’exhaler mon dernier soupir, le vent se penche sur moi et souffle : « Pars en paix ! la-haut, sur la montagne, juste au milieu de tes frères, j’ai déposé une de tes graines ! ».
A mon père…